134. Р. Роллану (R. Rolland).1887 г. Октября 3? Я. П.

Cher frère!

J’ai reçu votre première lettre. Elle m’a touché le coeur. Je l’ai lue les larmes aux yeux. J’avais l’intention d’y répondre, mais je n’en ai pas eu le temps, d’autant plus, qu’outre la difficulté que j’éprouve à écrire en français, il m’aurait fallu écrire très longuement pour répondre à vos questions, dont la plupart sont basées sur un malentendu.

Aux questions que vous faites: pourquoi le travail manuel s’impose à nous comme l’une des conditions essentielles du vrai bonheur? Faut-il se priver volontairement de l’activité intellectuelle, des sciences et des arts qui vous paraissent incompatibles avec le travail manuel?

A ces questions j’ai répondu comme je l’ai pu dans le livre intitulé «Que faire?» qui, à ce qu’on m’a dit, a été traduit en français. Je n’ai jamais envisagé le travail manuel comme un principe, mais comme l’application la plus simple et naturelle du principe moral, celle qui se présente la première à tout homme sincère.

Le travail manuel dans notre societé dépravée (la société des gens dits civilisés) s’impose à nous uniquement par la raison que le défaut principal de cette société a été, et est jusqu’à présent, celui de se libérer de ce travail et de profiter, sans lui rendre la pareille, du travail des classes pauvres, ignorantes et malheureuses, qui sont esclaves, comme les esclaves du vieux monde.

La première preuve de la sincérité des gens de cette société, qui professent des principes chrétiens, philosophiques ou humanitaires, est de tâcher de sortir autant que possible de cette contradiction.

Le moyen le plus simple et qui est toujours sous main y parvenir est le travail manuel qui commence par les soins de sa propre personne. Je ne croirai jamais à la sincérité des convictions chrétiennes, philosophiques ou humanitaires d’une personne qui fait vider son pot de chambre par une servante.

La formule morale la plus simple et courte c’est de se faire servir par les autres aussi peu que possible, et de servir les autres autant que possible. D’exiger des autres le moins possible et de leur donner le plus possible.

Cette formule, qui donne à notre existence un sens raisonnable, et le bonheur qui s’en suit, résout en même temps toutes lés difficultés, de même que celle qui se pose devant vous: la part qui doit être faite à l’activité intellectuelle — la science, l’art?

Suivant ce principe, je ne suis heureux et content que quand, en agissant, j’ai la ferme conviction d’être utile aux autres. (Le contentement de ceux pour lesquels j’agis est un extra, un surcroît de bonheur sur lequel je ne compte pas, et qui ne peut influer sur le choix de mes actions.) Ma ferme conviction que ce que je fais n’est ni une chose inutile, ni un mal, mais un bien pour les autres, est à cause de cela la condition principale de mon bonheur.

Et c’est cela qui pousse involontairement un homme moral et sincère à préférer aux travaux scientitiques et artistiques le travail manuel: l’ouvrage que j’écris, pour lequel j’ai besoin du travail des imprimeurs; la symphonie que je compose, pour laquelle j’ai besoin des musiciens; les expériences que je fais, pour lesquels j’ai besoin du travail de ceux qui font les instruments de nos laboratoires; le tableau que je peins pour lequel j’ai besoin de ceux qui font les couleurs et la toile; — tous ces travaux peuvent être des choses très utiles aux autres, mais [ils] peuvent être aussi (comme ils le sont pour la plupart) des choses complètement inutiles et même nuisibles. Et voilà que pendant que je fais toutes ces choses dont l’utilité est fort douteuse, et pour produire lesquelles je dois encore faire travailler les autres, j’ai devant et autour de moi des choses à faire sans fin, et qui toutes sont indubitablement utiles aux autres, et pour produire lesquelles je n’ai besoin de personne: un fardeau à porter, pour celui qui est fatigué; un champ à labourer pour son propriétaire qui est malade; une blessure à panser; mais sans parler de ces milliers de choses à faire qui nous entourent, qui n’ont besoin de l’aide de personne, qui produisent un contentement immédiat dans ceux pour le bien desquels vous les faites: — planter un arbre, élever un veau, nettoyer un puits — sont des actions indubitablement utiles aux autres, et qui ne peuvent ne pas être préférées par un homme sincère aux occupations douteuses qui, dans notre monde, sont prêchées comme la vocation la plus haute et la plus noble de l’homme.

La vocation d’un prophète est une vocation haute et noble. Mais nous savons ce que sont les prêtres qui se croient prophètes, uniquement parce que c’est leur avantage, et qu’ils ont la possibilité de se faire passer pour tels.

Un prophète n’est pas celui qui reçoit l’éducation d’un prophète, mais celui qui a la conviction intime de ce qu’il est et doit, et ne peut ne pas être. Cette conviction est rare, et ne peut être, éprouvée que par les sacrifices qu’un homme fait à sa vocation.

De même pour la vraie science et l’art véritable. Un Lulli1 Люлли (Lully, 1633—1687) — французский композитор; мальчиком попал в Париж и вначале был поваренком у m-lle Монпасье. Своей игрой на скрипке обратил на себя внимание Людовика XIV, который поставил его во главе придворного оркестра. qui, à ses risques et périls, quitte le service de la cuisine pour jouer du violon, par les sacrifices qu’il fait, fait preuve de sa vocation. Mais l’élève d’un conservatoire, un étudiant, dont le seul devoir est d’étudier ce qu’on leur enseigne, ne sont même pas en état de faire preuve de leur vocation: ils profitent simplement d’une position qui leur paraît avantageuse.

Le travail manuel est un devoir et un bonheur pour tous; l’activité intellectuelle est une activité exceptionnelle, qui ne devient un devoir et un bonheur que pour ceux qui ont cette vocation. La vocation ne peut être connue et prouvée que par le sacrifice que fait le savant ou l’artiste de son repos et de son bien-être pour suivre sa vocation. Un homme qui continue à remplir son devoir, celui de soutenir sa vie par le travail de ses mains, et, malgré cela, prend sur les heures de son repos et de son sommeil pour penser et produire dans la sphère intellectuelle, fait preuve de sa vocation. Celui qui se libère du devoir moral de chaque homme, et, sous le prétexte de son goût pour les sciences et les arts, s’arrange une vie de parasite, ne produira jamais que de la fausse science et du faux art.

Les produits de la vraie science et du vrai art sont les produits du sacrifice, mais pas de certains avantages matériels.

Mais que deviennent les sciences et les arts? Que de fois j’ai entendu cette question, faite par des gens qui ne se souciaient ni des sciences, ni des arts, et n’avaient même pas une idée un peu claire de ce que c’était que les sciences et les arts! On dirait que ces gens n’ont rien tant à coeur que le bien de l’humanité qui, d’après leur croyance, ne peut être produit que par le développement de ce qu’ils appellent des sciences et des arts.

Mais comment se trouve-t-il qu’il y ait des gens assez fous pour contester l’utilité des sciences et des arts? Il y a des ouvriers manuels, des ouvriers agriculteurs. Personne ne s’est jamais avisé de contester leur utilité; et jamais ouvrier ne se mettra en tête de prouver l’utilité de son travail. Il produit; son produit est nécessaire et un bien pour les autres. On en profite et personne ne doute de son utilité. Et encore moins, personne ne la prouve.

Les ouvriers des arts et des sciences sont dans les mêmes conditions. Comment se trouve-t-il qu’il y ait des gens qui s’efforcent de tout leur pouvoir de prouver leur utilité?

La raison est que les véritables ouvriers des sciences et des arts ne s’arrogent aucuns droits; ils donnent les produits de leur travail; ces produits sont utiles, et ils n’ont aucun besoin de droits et de preuves à leurs droits. Mais la grande majorité de ceux qui se disent savants et artistes savent fort bien que ce qu’ils produisent ne vaut pas ce qu’ils consomment, et ce n’est qu’à cause de cela qu’ils se donnent tant de peines, comme les prêtres de tous les temps, de prouver que leur activité est indispensable au bien de l’humanité.

La science véritable et l’art véritable ont toujours existé et existeront toujours comme tous les autres modes de l’activité humaine, et il est impossible et inutile de les contester ou de les prouver.

Le faux rôle que jouent dans notre société les sciences et les arts provient de ce que les gens soi-disant civilisés, ayant à leur tête les savants et les artistes, sont une caste privilégiée comme les prêtres. Et cette caste a tous les défauts de toutes les castes. Elle a le défaut de dégrader et de rabaisser le principe en vertu duquel elle s’organise. Au lieu d’une vraie religion — une fausse. Au lieu d’une vraie science — une fausse. De même pour l’art. Elle a le défaut de peser sur les masses, et, pardessus cela, de les priver de ce qu’on prétend propager. Et le plus grand défaut, celui de la contradiction constante du principe qu’ils professent avec leur manière d’agir.

En exceptant ceux qui soutiennent le principe inepte de la science pour la science et de l’art pour l’art, les partisans de la civilisation sont obligés d’affirmer que la science et l’art sont un grand bien pour l’humanité.

En quoi consiste ce bien? Quels sont les signes par lesquels on puisse distinguer le bien du mal? Les partisans de la science et de l’art ont gardé de répondre à ces questions. Ils prétendent même que la définition du bien et du beau est impossible. «Le bien en général, disent-ils, le bien, le beau, ne peut être défini».

Mais ils mentent. De tout temps, l’humanité n’a pas fait autre chose dans son progrès que de définir le bien et le beau. Le bien est défini depuis des sciècles. Mais cette définition ne leur convient pas; elle démasque la futilité, si ce n’est les effets nuisibles, contraires au bien et au beau, de ce qu’ils appellent leurs sciences et leurs arts. Le bien et le beau est défini depuis des siècles. Les Brahmanes, les sages des Bouddhistes, les sages des Chinois, des Hébreux, des Egyptiens, les stoïciens grecs l’ont défini, et l’evangile l’a défini de la manière la plus précise. Tout ce qui réunit les hommes est le bien et le beau, — tout ce qui les sépare est le mal et le laid. Tout le monde connaît cette formule. Elle est écrite dans notre coeur.

Le bien et le beau pour l’humanité est ce qui unit les hommes. Eh bien, si les partisans des sciences et des arts avaient en effet pour motif le bien de l’humanité, ils n’auraient pas ignoré le bien de l’homme, et, ne l’ignorant pas, ils n’auraient cultivé que les sciences et les arts qui mènent à ce but. Il n’y aurait pas de sciences juridiques, de science militaire, de science d’économie politique, ni de finances, qui n’ont d’autre but que le bien-être de certaines nations au détriment des autres. Si le bien avait été, en effet, le critérium de la science et des arts, jamais les recherches des sciences positives, complètement futiles par rapport au véritable bien de l’humanité, n’auraient acquis l’importance qu’elles ont, ni surtout les produits de nos arts, bons pour tout au plus à désennuyer les oisifs.

La sagesse humaine ne consiste point dans le savoir des choses. Et il y a une infinité de choses qu’on peut savoir. Et connaître le plus de choses possible ne constitue pas la sagesse. La sagesse humaine consiste à connaître l’ordre des choses qu’il est bon de savoir consiste à savoir ranger ses connaissances d’après leur importance.

Or, de toutes les sciences que l’homme peut et doit savoir, la principale, c’est la science de vivre de manière à faire le moins de mal et le plus de bien possible, et de tous les arts, celui de savoir éviter le mal et produire le bien avec le moins d’efforts possible. Et voilà qu’il se trouve que parmi tous les arts et les sciences qui prétendent servir au bien de l’humanité — la première des sciences et le premier des arts par leur importance non seulement n’existent pas, mais sont exclus de la liste des sciences et des arts.

Ce qu’on appelle dans notre monde les sciences et les arts ne sont qu’un immense «humbug», une grande superstition dans laquelle nous tombons ordinairement dès que nous nous affranchissons de la vieille superstition de l’eglise. Pourvoir clair la route que nous devons suivre, il faut commencer par le commencement, — il faut relever le capuchon qui me tient chaud, mais qui me couvre la vue. La tentation est grande. Nous naissons, — ou bien par le travail, ou plutôt par une certaine adresse intellectuelle, nous nous hissons sur les marches de l’échelle, et nous nous trouvons parmi les privilégiés, les prêtres de la civilisation, de la «Kultur», comme disent les allemands, et il faut comme pour un prêtre brahmane ou catholique, beaucoup de sincérité et un grand amour du vrai et du bien pour mettre en doute les principes qui vous donnent cette position avantageuse. Mais pour un homme sérieux qui, comme vous, se pose la question de la vie, — il n’y a pas de choix. Pour commencer à voir clair, il faut qu’il s’affranchisse de la superstition dans laquelle il se trouve, quoiqu’elle lui soit avantageuse. C’est une condition «sine qua non». Il est inutile de discuter avec un homme qui tient à une certaine croyance, ne fut-ce que sur un seul point.

Si le champ du raisonnement n’est pas complètement libre, il aura beau discuter, il aura beau raisonner, il n’approchera pas d’un pas de la vérité. Son point fixe arrêtera tous les raisonnements et les faussera tous. Il y a la foi religieuse, il y a la foi de notre civilisation. Elles sont tout à fait analogues. Un catholique se dit: «je puis raisonner, mais pas au delà de ce que m’enseigne notre Ecriture et notre tradition, qui possèdent la vérité entière, immuable»; un croyant de la civilisation dit: «mon raisonnement s’arrête devant les données de la civilisation: — la science et l’art. Notre science, c’est la totalité du vrai savoir de l’homme. Si elle ne possède pas encore toute la vérité, elle la possédera. Notre art avec ses traditions classiques est le seul art véritable». Les catholiques disent: «il existe hors de l’homme une chose en soi, comme disent les allemands: c’est l’eglise». Les gens de notre monde disent: «il existe hors de l’homme une chose en soi: la civilisation». Il nous est facile de voir les fautes de raisonnement des superstitions religieuses, parce que nous ne les partageons pas. Mais un croyant religieux, un catholique même, est pleinement convaincu qu’il n’y a qu’une seule vraie religion, la sienne; et il lui paraît même que la vérité de sa religion se prouve par le raisonnement. De même pour nous, — les croyants de la civilisation: nous sommes pleinement convaincus qu’il n’existe qu’une seule vraie civilisation, — la nôtre, et il nous est presque impossible de voir le manque de logique de tous nos raisonnements, qui ne tendent qu’à prouver que de tous les âges et de tous les peuples, il n’y a que notre âge et les quelques millions d’hommes, habitant la péninsule qu’on appelle l’Europe, qui se trouvent en possession de la vraie civilisation, qui se compose de vraies sciences et de vrais arts.

Pour connaître la vérité de la vie qui est tellement simple, il ne faut pas quelque chose de positif: — une philosophie, une science profonde; — il ne faut qu’une qualité négative: — ne pas avoir de superstition.

Il faut se mettre dans l’état d’un enfant ou d’un Descartes, se dire: — Je ne sais rien, je ne crois rien, et ne veux pas autre chose que de connaître la vérité de la vie, que je suis obligé de vivre.

Et la réponse est toute donnée depuis des siècles, et est simple et claire.

Mon sentiment intérieur me dit qu’il me faut le bien, le bonheur pour moi, pour moi seul. La raison me dit: tous les hommes, tous les êtres désirent la même chose. Tous les êtres qui sont comme moi à la recherche de leur bonheur individuel vont m’écraser: — c’est clair. Je ne peux pas posséder le bonheur que je désire; mais la recherche du bonheur — c’est ma vie. Ne pouvant posséder le bonheur, ne pas y tendre, — c’est ne pas vivre.

Je ne peux donc pas vivre?

Le raisonnement me dit que dans l’ordre du monde où tous les êtres ne désirent que leur bien à eux, moi, un être désirant la même chose, ne peux avoir de bien. Je ne peux vivre. Mais malgré ce raisonnement si clair, nous vivons et nous cherchons le bonheur, le bien. Nous nous disons: je n’aurais pu avoir le bien, être heureux, que dans le cas où tous les autres êtres m’aimeraient plus qu’ils ne s’aiment eux-mêmes. C’est une chose impossible; mais malgré cela, nous vivons tous; et toute notre activité, notre recherche de la fortune, de la gloire, du pouvoir, ne sont que des tentatives de se faire aimer par les autres plus qu’ils ne s’aiment eux-mêmes. La fortune, la gloire, le pouvoir nous donnent des semblants de cet état de choses; et nous sommes presque contents, nous oublions par moments que ce n’est qu’un semblant, mais non la réalité. Tous les êtres s’aiment eux-mêmes plus qu’ils ne nous aiment et le bonheur est impossible. Il y a des gens (et leur nombre augmente de jour en jour) qui, ne pouvant résoudre cette difficulté, se brûlent la cervelle en se disant que la vie n’est qu’une tromperie.

Et cependant, la solution du problème est plus que simple, et s’impose de soi-même. Je ne peux être heureux que s’il existe dans ce monde un ordre tel que tous les êtres aiment les autres plus qu’ils ne s’aiment eux-mêmes.

Le monde entier serait heureux si les êtres ne s’aimaient pas eux-mêmes, mais aimaient les autres.

Je suis un être humain, et la raison me donne la loi du bonheur de tous les êtres. Il faut que je suive la loi de ma raison, — que j’aime les autres plus que je m’aime moi-même.

L’homme n’a qu’à faire ce raisonnement pour que la vie se présente à lui tout d’un coup sous un tout autre aspect qu’elle ne se présentait auparavant. Les êtres se détruisent; mais les êtres s’aiment et s’entr’aident. La vie n’est pas soutenue par la désiruction, mais par la réciprocité des êtres qui se traduit dans mon coeur par le sentiment de l’amour. Depuis que j’ai pu entrevoir la marche du monde, je vois que ce n’est que le principe de la réciprocité qui produit le progrès de l’humanité. Toute l’histoire n’est autre chose que la conception de plus en plus claire et l’application de cet unique principe de la solidarité de tous les êtres. Le raisonnement se trouve corroboré par l’expérience de l’histoire et [par] l’expérience personnelle.

Mais outre le raisonnement l’homme trouve la preuve la plus convaincante de la vérité de ce raisonnement dans son sentiment intime. Le plus grand bonheur que l’homme connaisse, l’état le plus libre, le plus heureux, est celui de l’abnégation et de l’amour. La raison découvre à l’homme la seule voie du bonheur possible, et le sentiment l’y pousse.

Si les idées que je tâche de vous communiquer ne vous paraissent pas claires, ne les jugez pas trop sévèrement. J’espère que vous les lirez un jour exposées d’une manière plus claire et précise.

J’ai voulu vous donner seulement une idée de ma manièrede voir.

Léon Tolstoy.

Дорогой брат!

Я получил ваше первое письмо. Оно тронуло мое сердце. Я читал его со слезами на глазах. Я намеревался отвечать на него, но не имел времени, тем более, что — не говоря уже о трудности для меня писать по-французски — мне пришлось бы отвечать очень подробно на ваши вопросы, большая часть которых основана на недоразумении.

Вы спрашиваете: почему ручной труд является одним из существенных условий истинного счастья? Нужно ли добровольно лишать себя умственной деятельности, занятий науками и искусствами, которые кажутся вам несовместимыми с ручным трудом?

Я отвечал на эти вопросы, как умел, в книге, озаглавленной: «Так что же нам делать?» — которая, как я слышал, была переведена на французский язык. Я никогда не считал ручной труд самостоятельным принципом, а всегда считал его самым простым и естественным приложением нравственного принципа, — таким приложением, которое прежде всего представляется уму всякого искреннего человека.

Ручной труд в нашем развращенном обществе (в обществе так называемых образованных людей) является обязательным для нас единственно потому, что главный недостаток этого общества состоял и до сих состоит в освобождении себя от этого труда и в пользовании, без всякой взаимности, трудом бедных, невежественных, несчастных классов, являющихся рабами, подобными рабам древнего мира.

Первым доказательством искренности людей, принадлежащих к этому обществу и исповедующих христианские, философские или гуманитарные принципы, является старание выйти, насколько возможно, из этого противоречия.

Самым простым и находящимся всегда под рукой способом для достижения этого является прежде всего ручной труд, обращенный на заботы о своей личности. Я никогда не поверю искренности христианских, философских и гуманитарных убеждений человека, который заставляет служанку выносить его ночной горшок.

Самое простое и самое короткое нравственное правило состоит в том, чтобы как можно меньше заставлять других служить себе и как можно больше самому служить другим. Требовать от других как можно меньше и давать другим как можно больше.

Это правило, дающее нашему существованию разумный смысл и вытекающее из него счастье, разрешает также и все затруднения, в том числе и то, которое возникает перед вами: что остается на долю умственной деятельности, науки, искусства?

На основании этого правила я только тогда могу быть счастливым и удовлетворенным, когда я имею твердое убеждение, что моя деятельность полезна другим. (Удовлетворение тех, для которых я действую, является уже прибавкой, добавочным счастьем, на которое я не рассчитываю и которое не может влиять на выбор мною моих поступков.) Мое твердое убеждение в том, что то, что я делаю, не есть нечто бесполезное и не есть зло, а есть благо для других, является поэтому главным условием моего счастья.

Вот это-то невольно и побуждает нравственного и искреннего человека предпочитать ручной труд труду научному и художественному. Книга, которую я пишу и для которой я нуждаюсь в труде наборщиков; симфония, которую я сочиняю и для которой я нуждаюсь в музыкантах; опыты, которые я произвожу и для которых я нуждаюсь в труде тех, которые делают наши лабораторные приборы; картина, которую я пишу и для которой я нуждаюсь в тех, которые делают краски и полотно, — все эти вещи могут быть полезны людям, но могут также быть, как это и бывает по большей части, совершенно бесполезными и даже вредными. И вот, пока я делаю все эти вещи, польза которых весьма сомнительна и для которых я должен еще заставлять работать других, меня со всех сторон окружает множество дел, которые нужно сделать, которые несомненно полезны другим и для которых мне не нужно ничьей помощи: понести тяжесть, чтобы помочь уставшему; обработать поле, хозяин которого заболел; перевязать рану. Но не будем говорить об этих бесчисленных делах, которые нас окружают, для которых не нужно ничьей помощи и которые доставляют непосредственное удовлетворение тем, для пользы которых вы их делаете. Посадить дерево, выкормить теленка, вычистить колодезь, — вот дела, несомненно полезные другим и которые всякий искренний человек не может не предпочесть тем сомнительным занятиям, о которых в нашем мире проповедуют, как о самом возвышенном и самом благородном человеческом призвании.

Призвание пророка есть высокое и благородное призвание. Но мы знаем, что представляют собой священники, считающие себя пророками единственно потому, что это им выгодно и что они имеют возможность выдавать себя за таковых.

Не тот пророк, который получает воспитание пророка, а тот, кто имеет внутреннее убеждение в том, что он есть пророк, должен им быть и не может не быть им. Такое убеждение редко и может быть доказано только теми жертвами, которые человек приносит своему призванию.

То же самое относится к истинной науке и к истинному искусству. Какой-нибудь Люлли,2 Люлли (Lully, 1633—1687) — французский композитор; мальчиком попал в Париж и вначале был поваренком у m-lle Монпасье. Своей игрой на скрипке обратил на себя внимание Людовика XIV, который поставил его во главе придворного оркестра. который на свой страх бросает службу на кухне, чтобы предаться игре на скрипке, приносимыми им жертвами доказывает свое призвание. Но ученик консерватории или студент, единственная обязанность которых изучать то, что им преподают, не имеют даже возможности оказать свое призвание: они просто пользуются положением, которое кажется им выгодным.

Ручной труд есть обязанность и счастье для всех; умственная деятельность есть деятельность исключительная, которая становится обязанностью и счастьем только для тех, кто имеет соответственное призвание. Призвание может быть указано и доказано только в том случае, когда ученый или художник жертвует своим спокойствием и своим благосостоянием, чтобы следовать своему призванию. Человек, который продолжает исполнять обязанность поддержания своего существования трудами рук своих и, несмотря на то, лишая себя отдыха и сна, находит возможность мыслить и производительно работать в умственной области, — этим доказывает свое призвание. Тот же, который освобождает себя от общей всем людям нравственной обязанности и, под предлогом своей склонности к наукам и искусствам, устраивает себе жизнь паразита, — тот никогда не произведет ничего, кроме ложной науки и ложного искусства.

Произведения истинной науки и истинного искусства суть продукты приносимой человеком жертвы, а никак не тех или иных материальных выгод.

Но что станется с наукой и искусством? — сколько раз мне приходилось слышать этот вопрос от людей, которым не было никакого дела ни до наук, ни до искусств, и которые не имели даже мало-мальски ясного представления о том, что такое науки и искусства! Можно было бы подумать, что эти люди ничем так не дорожат, как благом человечества, которое, по их понятиям, состоит в развитии того, что они называют науками и искусствами.

Но как это случилось, что нашлись люди столь безумные, что они отрицают полезность наук и искусств? Существуют ремесленники, существуют земледельцы. Никому не приходило на ум оспаривать их полезность, и никогда рабочему не придет в голову доказывать полезность своего труда. Он производит; его продукт необходим и представляет собой благо для других. Им пользуются, и никто не сомневается в его полезности; тем более никто ее не доказывает.

Деятели наук и искусств находятся в тех же самых условиях. Как же это случилось, что находятся люди, которые изо всех сил стараются доказать их полезность?

Дело в том, что истинные деятели наук и искусств не присвоивают себе никаких прав; они отдают произведения своего труда; эти произведения оказываются полезными, и они нисколько не нуждаются в каких-либо правах и в доказательствах, подтверждающих их права. Но огромное большинство тех, которые называют себя учеными и художниками, очень хорошо знают, что то, что они производят, не стоит того, что они потребляют, и вот единственная причина, почему они так усиленно стараются — подобно священникам всех времен — доказать, что их деятельность необходима для блага человечества.

Истинная наука и истинное искусство всегда существовали и всегда будут существовать, подобно всем другим видам человеческой деятельности, и невозможно и бесполезно оспаривать или доказывать их необходимость.

Ложная роль, которую играют в нашем обществе науки и искусства, происходит от того, что так называемые образованные люди, во главе с учеными и художниками, составляют привилегированную касту, подобно священникам. И эта каста имеет все недостатки, свойственные всем кастам. Недостаток касты в том, что она позорит и унижает тот самый принцип, во имя которого она организовалась. Вместо истинной религии получается ложная религия. Вместо истинной науки — ложная наука. То же и по отношению к искусству. Недостаток касты в том, что она давит на массы и, сверх того, лишает их того самого, что предполагалось распространить между ними. А самый главный недостаток касты заключается в утешительном для ее членов противоречии того принципа, который они исповедуют, с их образом действия.

За исключением тех, которые защищают нелепый принцип науки для науки и искусства для искусства, сторонники цивилизации вынуждены утверждать, что наука и искусство представляют собой большое благо для человечества.

В чем заключается это благо? Каковы суть те признаки, по которым можно было бы отличить благо, добро от зла? Сторонники науки и искусства тщательно избегают ответа на эти вопросы. Они даже утверждают, что определение добра и красоты невозможно. «Добро вообще, — говорят они, — добро, красота, не может быть определено». Но они лгут. Во все времена человечество в своем поступательном движении только то и делало, что определяло добро и красоту. Добро определено много веков тому назад. Но это определение не нравится этим людям. Оно вскрывает ничтожество или даже вредные, противные добру и красоте, последствия того, что они называют своими науками и своими искусствами. Добро и красота определены много веков тому назад. Брамины, мудрые буддисты, китайские, еврейские, египетские мудрецы, греческие стоики определили их, а Евангелие дало им самое точное определение.

Всё, что соединяет людей, есть добро и красота; всё, что разъединяет их, есть зло и безобразие.

Всем известна эта формула. Она начертана в нашем сердце. Добро и красота для человечества есть то, что соединяет людей. Итак, если бы сторонники наук и искусств действительно имели в виду благо человечества, они знали бы, в чем состоит благо человека, и, зная это, они занимались бы только теми науками и теми искусствами, которые ведут к этой цели. Не было бы юридических наук, военной науки, политической экономии и финансовой науки, так как все эти науки не имеют другой цели, кроме благосостояния одних народов в ущерб другим. Если бы благо было действительно критериумом наук и искусств, никогда изыскания точных наук, совершенно ничтожные по отношению к истинному благу человечества, не приобрели бы того значения, которое они имеют; и особенно не приобрели бы такого значения произведения наших искусств, едва лишь годные на то, чтобы рассеять скуку праздных людей.

Человеческая мудрость не заключается в познании вещей. Есть бесчисленное множество вещей, которых мы не можем знать. Не в том мудрость, чтобы знать как можно больше. Мудрость человеческая в познании того порядка, в котором полезно знать вещи; она состоит в умении распределять свои знания соответственно степени их важности.

Между тем, из всех наук, которые человек может и должен знать, главнейшая есть наука о том, как жить, делая как можно меньше зла и как можно больше добра; и из всех искусств главнейшее есть искусство уметь избегать зла и творить добро с наименьшей, по возможности, затратой усилий. И вот оказывается, что между всеми искусствами и науками, имеющими притязание служить благу человечества, важнейшая из наук и важнейшее из искусств не только не существуют, но и исключены из списка наук и искусств.

То, что в нашем мире называют науками и искусствами, есть не что иное, как огромный «humbug», великое суеверие, в которое мы обыкновенно впадаем, как скоро мы освобождаемся от старого церковного суеверия. Чтобы ясно увидать путь, которому мы должны следовать, надо начать с начала, — надо снять тот капюшон, в котором мне тепло, но который закрывает мои глаза. Искушение велико. Мы родимся, и затем, при помощи труда или скорее при помощи некоторой умственной ловкости, мы постепенно поднимаемся по ступенькам лестницы и оказываемся среди привилегированных, среди жрецов цивилизации и культуры, и надо иметь — как это надо и брамину и католическому священнику — большую искренность и большую любовь к истине и к добру, чтобы усомниться в тех принципах, которым мы обязаны нашим выгодным положением. Но для серьезного человека, который, подобно вам, ставит себе вопрос жизни, — нет выбора. Чтобы приобрести ясный взгляд на вещи, он должен освободиться от того суеверия, в котором он живет, хотя это суеверие ему и выгодно. Это — условие sine qua non. Бесполезно рассуждать с человеком, который упорно держится за известное верование, хотя бы только на одном каком-нибудь пункте.

Если его мысль не вполне свободна от всего предвзятого, сколько бы он ни рассуждал, он ни на шаг не приблизится к истине. Его предвзятое верование остановит и исказит все его рассуждения. Есть вера религиозная, есть и вера в нашу цивилизацию. Они совершенно сходны. Католик говорит: «Я могу рассуждать, но только в пределах того, чему меня учит наше писание и наше предание, обладающие полной, неизменной истиной». Верующий в цивилизацию говорит: «Мое рассуждение останавливается перед данными цивилизации, науки и искусства. Наша наука представляет собой совокупность истинного человеческого знания. Если она еще не обладает всей истиной, то она будет обладать ею. Наше искусство с его классическими преданиями есть единственное истинное искусство». Католики говорят: «Существует вне человека одна вещь в себе, как говорят немцы: это церковь». Люди нашего мира говорят: «Существует вне человека одна вещь в себе: цивилизация». Нам легко видеть ошибки рассуждения религиозных суеверий, потому что мы не разделяем этих суеверий. Но верующий в какую-нибудь положительную религию, даже католик, вполне убежден в том, что есть только одна истинная религия, — именно та, которую он исповедует; и ему даже кажется, что истинность его религии может быть доказана рассуждением. Точно так же и для нас, верующих в цивилизацию: мы вполне убеждены в том, что существует только одна истинная цивилизация, — именно наша, и нам почти невозможно усмотреть недостаток логики во всех наших рассуждениях, которые стремятся доказать, что, из всех времен и из всех народов, только наше время и те несколько миллионов человек, которые живут на полуострове, называемом Европой, находятся в обладании истинной цивилизацией, состоящей из истинных наук и истинных искусств.

Чтобы познать истину жизни, которая столь проста, нет надобности в чем-нибудь положительном, в какой-нибудь философии, в какой-нибудь глубокой науке; нужно только одно отрицательное свойство: не иметь суеверий.

Надо привести себя в состояние ребенка или Декарта и сказать себе: я ничего не знаю, ничему не верю и хочу только одного: познать истину жизни, которую мне нужно прожить.

И ответ уже дан века тому назад, и этот ответ прост и ясен.

Мое внутреннее чувство говорит мне, что мне нужно благо, счастье, для меня, для меня одного. Разум говорит мне: все люди, все существа желают того же самого. Все существа, ищущие, подобно мне, личного счастья, раздавят меня: ясно, что я не могу обладать тем счастьем, которого я желаю; а между тем в стремлении к счастью заключается вся моя жизнь. Не имея возможности обладать счастьем, не стремиться к нему, это значит не жить.

Стало быть, я не могу жить?

Рассуждение говорит мне, что при таком устройстве мира, при котором все существа стремятся только к своему собственному благу, я — существо, желающее того же самого, — не могу достигнуть блага; я не могу жить. И, однако, несмотря на это столь ясное рассуждение, мы живем, и мы стремимся к счастью, к благу. Мы говорим себе: я только в таком случае мог бы достигнуть блага, быть счастливым, если бы все другие существа любили меня более, чем они любят самих себя. Это вещь невозможная; но, несмотря на это, мы все живем; и вся наша деятельность, наше стремление к богатству, к славе, к власти, есть не что иное, как попытка заставить других полюбить нас больше, чем они любят самих себя. Богатство, слава, власть дают нам подобие такого порядка вещей; и мы почти довольны, мы по временам забываем, что это только подобие, а не действительность. Все существа любят самих себя больше, чем они любят нас, и счастье невозможно. Есть люди (и число их увеличивается со дня на день), которые, не будучи в состоянии разрешить это затруднение, застреливаются, говоря, что жизнь есть только один обман.

И, однако, решение задачи более чем просто и навязывается само собой. Я только тогда могу быть счастлив, если в этом мире будет существовать такое устройство, что все существа будут любить других больше, чем самих себя. Весь мир был бы счастлив, если бы все существа не любили бы самих себя, а любили бы других.

Я существо человеческое, и разум открывает мне закон счастья всех существ. Я должен следовать закону моего разума, — я должен любить других более, чем я люблю самого себя.

Стоит только человеку сделать это рассуждение, и сейчас жизнь представится ему в ином виде, чем раньше. Все существа истребляют друг друга; но все существа любят друг друга и помогают друг другу. Жизнь поддерживается не истреблением, но взаимным сочувствием существ, которое сказывается в моем сердце чувством любви. Как только я начал понимать ход вещей в этом мире, я увидал, что одно только начало взаимного сочувствия обусловливает собой прогресс человечества. Вся история есть не что иное, как всё большее и большее уяснение и приложение этого единственного принципа солидарности всех существ. Рассуждение, таким образом, подтверждается опытом истории и личным опытом.

Но и помимо рассуждения человек находит в своем внутреннем чувстве самое убедительное доказательство истинности этого рассуждения. Наибольшее, доступное человеку, счастие, самое свободное, самое счастливое его состояние есть состояние самоотречения и любви. Разум открывает человеку единственно возможный путь счастья, и чувство устремляет его на этот путь.

Если мысли, которые я пытался вам передать, покажутся вам неясными, не судите их слишком строго. Я надеюсь, что вы когда-нибудь прочтете их в более ясном и более точном изложении.

Я хотел только дать вам понятие о моем взгляде на вещи.

Лев Толстой.

Печатается по фотографии с подлинника (написано рукой T. Л. Толстой с поправками Толстого; в архиве Толстого сохранились черновики этого письма). Впервые по-русски опубликовано в «Неделе» 1888, 46, стр. 1461—1465 (см. прим. 1 к письму № 271); по-французски — в ПТСО, М. 1912, стр. 64—70. Датируется на основании почтовых штемпелей.

Ромэн Роллан (Romain Rolland, 1866—1944) — прогрессивный французский писатель-реалист, драматург и историк музыки.

О Толстом Р. Роллан написал: «Tolstoï («Толстой») — «La revue de Paris» 1911, 4, p. 673—707; «Vie de Tolstoï» («Жизнь Толстого»), Paris, 2-me éd., 1911; «Tolstoï, l’esprit libre» («Толстой — свободный мыслитель») — «Les tablettes» 1917, 9, p. 3—4.

К Толстому P. Роллан обратился, будучи учеником Высшей нормальной школы в Париже, с письмом от 16 апреля н. с. 1887 г. Он ставил ряд вопросов, связанных с наукой и искусством, и, в частности, спрашивал: «Почему вы осуждаете искусство?» (Письмо опубликовано в отрывках по-русски в «Литературном наследстве», 31-32, М. 1937, стр. 1007—1008.) Не получив ответа, Роллан написал вторично, прося Толстого разъяснить его сомнения об истине, о благе, о самопожертвовании, об умственном и физическом труде, говоря, что он не может примириться с «незнанием нравственной сущности вещей», что для него «это значит — не жить». (Письмо без даты; опубликовано по-русски там же, стр. 1008—1009.)

Мы собираем cookies для улучшения работы сайта.